Titre couperet et significatif. Comme la chanson d'ouverture Pas ma haine, inspirée par le livre d'Antoine Leiris, journaliste qui a perdu son épouse lors de la fusillade du Bataclan.
Fidèles à leurs exigences éthiques et d'esprit, les Ogres maintiennent en éveil des interrogations et des inquiétudes citoyennes en même temps qu'ils raniment musicalement la capacité à vibrer et à se mouvoir. Pas d'injonction moralisante, juste un constat implacable. Un morceau du quatuor, c'est de toute façon plusieurs idées jetées dans une valise, avant la fuite.
C'est un disque joyeusement foisonnant qui joue avec les idiomes de la chanson et les axiomes de la world. C'est un disque plein d'allant, d'élans et de subtilités. C'est un disque qui dégage la force de son honnêteté permanente. C'est un disque qui ne se fout pas du flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. C'est surtout un disque qui célèbre des premières fois. Première fois où le groupe délègue la réalisation à d'autres forces vives : Loo&Placido, Rémi Sanchez (Zebda) et Damny Baluteau (La Phaze). Première fois où les machines s'invitent - avec parcimonie - au milieu des trompettes, percussions, guitares, basse, accordéon, violons, banjo, orgue... Première fois enfin où les chansons d'amour - grises faut-il le rappeler - s'immiscent en force et s'offrent la même part du gâteau que les chansons sociales ou sociétales. Amours en lambeaux (P’tit cœur), amours batailleuses (Si tu restes), amours irréparables (S'il nous plaît). Écrite dans l'optique d'un duo avec Barbara Weldens (disparue l'été 2017), Pour toi prend ici des allures d'hommage poignant.
En éveilleurs de conscience et sous l'inflexion d'une dose de sarcasme, les Ogres envisagent la Chanson pour dans 2000 ans, quand les hommes auront mis fin à leurs éternelles absurdités et « quand il n'y aura plus d'allégeance sur terre entre un noir et un blanc ». Il y a aussi une tentative de dénicher un remède à la maladie du siècle (La nombrilïte aiguë), une liste de résolutions qui volent en éclat (Tous les matins immondes), un grand tribunal sur fond d'inceste (Hé papa), la parole d'un ami-mort dévoré par ses excès (Latrim), une révolte contre le sort réservé à la gente féminine (Pas une femme). Difficile, d'imaginer un album de ces infatigables troubadours sans son lot d'invités. Cela s'inscrit dans le droit fil de leurs principes. Comme sur la livraison précédente, la fringante fanfare béninoise Eyo'nlé entre dans la danse et ordonne à de francs déhanchements sur trois morceaux. Quant à Magyd Cherfi et Lior Shoov, ils unissent leurs voix pour célébrer un instant de béatitude amoureuse face au chaos du monde (Il y a ta bouche).
Les Ogres de Barback nous disent, avec une foi dans la musique qui semble elle, inentamée, ce qu'est notre époque. Ils ont définitivement le goût des autres. Rien d'étonnant pour un groupe qui ne cesse de faire rimer humilité et félicité.